Aux armes... (Cliquez sur le titre pour plus de détails)
Aux armes…
C’est la crise !
Crise économique, politique, culturelle.
Crise des valeurs, crise identitaire, crise éthique.
Partout, le petit mot de cinq lettres s’affiche en vedette et fait sa révolution. Les médias le relaient à grand renfort d’interviews, analyses, vidéos, tweets qui s’entrecroisent et tissent leur toile dans le cerveau des citoyens.
La crise, ça fait vendre.
Autant l’entretenir et la nourrir….
Gros titres dégoulinants se font écho les uns aux autres dans un verbiage ronflant et impétueux.
Il n’en faut pas autant pour dégoûter un peu plus Fabien.
Ras le bol de moisir dans cette cité pourrie !
Ras le bol de perdre son temps dans ce bahut paumé pour l’obtention d’un diplôme déclassé qui ne le mènera nulle part, même pas dans le quartier voisin plus serein…
Pas d’avenir.
Pas de boulot en vue.
Même plus de rêves.
…Et encore moins d’espoir.
« Fuck the system » hurle la petite voix dans la tête de Fabien.
Dégoûté un peu plus ce soir-là quand il découvre un énième post relatif à la crise sur Facebook.
Depuis la guerre au Mali, ça ne s’arrange pas.
A 17 ans, Fabien est en pleine crise existentielle.
Depuis plusieurs mois, il s’est laissé pousser les cheveux autant qu’il le peut et se cache derrière son rideau de cheveux sans que ses parents ne s’en inquiètent malgré la chute vertigineuse de ses résultats scolaires qui accompagne la métamorphose.
Deux profondes scarifications entaillent aussi ses avant-bras mais il est le seul à les voir à l’abri de ses longs pulls sombres doublés d’un blouson qu’il ne retire qu’en cas de nécessité. Autant de moyens de communication sourds à l’adresse de ses parents.
Même sa mère semble aveugle.
Fabien ne rêve que d’une chose.
Etre un héros.
Ne plus être un mouton comme tous ces citoyens aveugles et sourds qui se croient libres dans une pseudo-démocratie où, vassaux d’un nouveau genre, ils engraissent le Sieur État.
Quelle alternative ?
Chômage ou SMIC ?
Impôts, taxes, redevance et PV qui vont avec…
Bosser pour qui ? Bosser pour quoi ?
Seule distraction dans sa vie merdique et étriquée, ses jeux vidéo, chimère nécessaire à sa survie dans un quotidien gangréné par une morosité ambiante.
Mais, depuis quelque temps, il entend le chant du Muezzin dans la mosquée d’en face, aussi puissant que le chant des sirènes.
L’enthousiasme et la détermination des musulmans du quartier le fascinent.
Ses recherches sur le net lui ont montré la voie.
Il y a découvert l’Islam dans toute sa magnificence ainsi que l’Islamisme. Les djihadistes y paradent avec armes et étendards, drapés de charisme et de détermination. Tout ce sang versé coule comme une promesse de réussite pour Fabien.
Ça, ça a de la gueule ! Et du courage, ils n’en manquent pas, ces soldats de l’Islam !
Certains appellent ça de la radicalisation religieuse.
Pour lui, c’est une véritable prise de conscience.
Prise de conscience de l’indifférence de notre société néolibérale qui laisse crever ses enfants sans leur offrir aucun avenir.
Prise de conscience de la spoliation des richesses du monde et des autres peuples de la Terre par l’Occident, en toute impunité.
Prise de conscience que le fric a supplanté les valeurs humaines.
Et l’on devrait accepter ça, entrer dans le système et la fermer ?!
Jusqu’à 18 heures par jour de ces images d’horreur et il rêve déjà d’assauts glorieux, de guerre sainte et de justice divine.
Son courage, il va le mettre à l’épreuve !
Quinze jours plus tard, il pose le pied sur le sol syrien.
La misère, la faim, la mort rodent ici partout.
Il y a tant de choses à y faire, tant de combats à mener en ces terres, tant de victoire à remporter. L’occasion rêvée de devenir un héros.
Rambo, Superman, Matrix, Assassin’s Creed, c’est lui désormais !
Et le rêve, l’espoir, il l’incarne aujourd’hui, en chair et en os…
Sa mission : "rétablir la justice sur Terre"...
Trois semaines après, il brûle son passeport dans une vidéo diffusée dans le monde entier.
Il sait qu’il a fait le bon choix. Son destin, c’est ici, et nulle part ailleurs.
Fabien est devenu Abdel Aziz, soldat de l’Islam et fier de l’être.
Le sens de sa vie, il l’a enfin trouvé, lui, le jeune paumé.
Il l’a enfin sa revanche sur une supposée Mère Patrie hypocrite et sclérosée par le fric et le vice.
La délinquance, le sexe, l’alcool et les drogues sont désormais derrière lui, avec son passé de jeune zonard.
A lui la gloire et la vie éternelle !
La reconnaissance aussi.
Exclu de la société capitaliste et de l’individualisme roi, il est devenu Abdel Aziz le Grand, valorisé et intégré à une communauté empreinte de valeurs profondes, ancestrales.
Ce jour-là, devant la caméra, il sait qu’il deviendra un héros, un martyr.
Peut-être même aura-t-il sa photo dans les livres d’histoire, pendant des générations, alors qu’on expliquera aux enfants la vaillance des soldats de l’Islam contre le capitalisme à outrance et une société occidentale qui a renié ses valeurs démocratiques fondatrices.
Il laissera une trace indélébile de son court passage sur Terre.
À jamais.
Sa seule motivation, le courage, lorsqu’il égorge son premier mécréant, un Européen comme lui, qui le supplie d’un regard innocent de l’épargner.
Déchéance capitaliste...
Déchéance islamiste...
… Il n’avait pas conscience de n’être qu’un nouveau pion sur un nouvel échiquier du mal.