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Et demain ?

Deux épaisses colonnes de fumée s'élevaient dans le ciel assombri à l'ouest de la ville assiégée et montaient jusqu'aux collines avoisinantes. Sur les crêtes, les soldats turcs guettaient dans des chars lourdement équipés, canons pointés en direction de la frontière syrienne sans pour autant engager le combat, seulement prêts à se défendre.

Plus bas, le chaos. Partout dans les rues grisâtres, sur les murs sombres et crevassés, à l'intérieur même des maisons délabrées, l'odeur de la mort rôdait au milieu de cadavres en décomposition. L'odeur de la mort et du sang qui se mêlait à la rage des Kurdes, tapis à l'intérieur de la ville ou entassés à la frontière. Une majorité luttait, arme en main, le cœur fier, hommes et femmes. Daesh occupait l'est de la cité sur laquelle flottaient funestement les drapeaux noirs de l'EIIL, l'état islamique, depuis ce sombre 16 septembre 2014 et une guérilla urbaine déchirait islamistes et Kurdes, les YPG, qui menaient une résistance acharnée. Parmi eux, Ajda, combattante en treillis, la quarantaine, mère de quatre enfants et ouvrière pour le compte d’un groupe pétrolier avant que la guerre n’éclate. De petite taille, ses cheveux sombres étaient enserrés dans un foulard de couleur claire.

Dix ans de labeur au service de l’industrie pétrolière avant la guerre pour pouvoir payer un logement dans lequel Ajda vivait entassée, avec sa famille, dans une unique pièce. Au bout du compte, tout juste de quoi se nourrir. Des conditions de travail révoltantes pour engraisser la bête pétrole mais c’était nécessaire si elle ne voulait pas mourir de faim avec ses proches dans ce pays oublié du reste du monde. Ajda avait pourtant fait des études afin de devenir professeure de kurde, mais n’avait pas trouvé d’emploi en tant qu’enseignante, se résignant à travailler l’or noir, entretenant les injustices de ce monde et la domination tyrannique de quelques multinationales qui dévoraient les richesses de son pays. Contrainte à cette bassesse, elle se contentait de survivre avec sa mauvaise conscience.

Aujourd’hui, dans les rangs des résistants, elle se battait au nom de la liberté et s’était promis que si elle ne périssait pas, elle œuvrerait pour que les choses changent et cesserait de se soumettre.

Elle était ce jour-là retranchée au premier étage d'une maison au cœur de la cité, protégée de part et d'autre par de profondes tranchées, des remblais et des panneaux métalliques, barricades déjà criblées de multiples balles. Malgré l’obscurité, la grisaille et la mort, cette lumière la guidait toujours, dans son cœur et dans son âme. Une lumière frêle mais tenace qui la maintenait debout.

- L’opération est prévue pour ce soir. Nous espérons gagner du terrain. Il le faut… annonça gravement Barzan, jeune Kurde d’à peine 20 ans et ami d’Ajda. Combattant de l’ombre, comme elle.

Elle gardait les yeux rivés au sol. La gravité marquait son visage buriné. Au sol, sur un plat ébréché, un dernier baklava à côté d’un verre de thé, des biens précieux dans cette cité dévastée. Près de l’assiette, La République de Platon. Des mots qui avaient élevé son âme. Des mots porteurs de lumière.

C'était dans les livres qu’Ajda avait trouvé la force de résister face au fanatisme, la rage de lutter pour la liberté et l'égalité, notamment celle des femmes.

Ici, hommes et femmes combattaient main dans la main, pour un même dessein. Une philosophie en opposition à l'islamisme intégriste qui asservissait les peuples sous de fallacieux motifs religieux, mais également en opposition au système capitaliste qui maintenait les humains sous l’esclavage d’une consommation effrénée. Ajda le savait, sa vie était jeu. Tant de ses proches et de ses amis avaient déjà péri et l'on n'avait pas donné cher de leur ville déclarée perdue dès les premières heures de l'assaut. Leur ville qui ne figurait pas dans les « priorités » de la coalition internationale. Le sort de la population avait alors semblé déjà scellé.

C'était sans compter sur le courage des habitants qui regagnaient les quartiers les uns après les autres, à force d’opiniâtreté ou au prix de leur vie.

Les yeux dans le vide, Ajda tentait de garder courage. Depuis qu'elle avait fatalement compris que sa liberté et celle de ses proches était menacée, il avait été évident pour elle de faire quelque chose et, dans ces circonstances, la seule chose à faire avait été de prendre les armes. Sa vie était moins importante que les valeurs qui en constituaient les fondements, c'est pourquoi elle était prête à tous les sacrifices. Elle avait cessé de vivre et n'était que résistance obstinée pour la défense de ses idées, pour d'autres valeurs, un autre monde. Un jour, peut-être.

Le soir même, une contre-offensive était prévue qui nécessiterait un combat pour la libération de chaque rue, chaque maison. Assise sur sa natte, sa guitare et son fusil à ses côtés, funestes vanités plongées dans le clair-obscur d’une bougie à demi éteinte, Ajda ne sursauta même pas au son de l’explosion qui venait de retentir à quelques centaines de mètres. Le bruit de la guerre était devenu une mélodie bien trop familière. Elle prit néanmoins le temps de savourer une dernière gorgée de thé avant de retourner à son poste entre deux sacs de gravas devant le trou béant creusé dans le mur. Saisissant son arme, ses dernières pensées allèrent à Zelal, sa petite fille de huit ans réfugiée à la frontière turque, son enfant qu’elle n’avait pas vue depuis plus de trois mois, et à Armanç, son époux qui avait déjà laissé sa vie dans ce carnage d'une obscure barbarie. Une intime conviction : elle libèrerait sa ville ou y périrait aussi.

Elle était à son poste de surveillance depuis une heure déjà, scrutant la rue d’où se détachaient inlassablement les mêmes murs pilonnés et les carcasses de voitures, pâles fantômes en décomposition. De temps à autre, une ombre furtive la mettait en alerte, mais ce n’était qu’un chat ou un chien errant mû par une faim démente. La fatigue se faisait sentir ainsi que le sommeil, bien trop rare. À ce moment-là, il lui sembla réellement percevoir une présence toute proche, trop proche même. Indicible frémissement, souffle invisible. Un craquement dans son dos lui inspira une volte-face immédiate. Un instant, le temps resta suspendu. Assez toutefois pour qu’elle lise dans le regard du spectre qui lui faisait face.

Tout dans sa physionomie révélait qu’il était un djihadiste.

La lueur qui traversait ses yeux pourtant mornes exprimaient néanmoins ses intentions pacifistes. Et puis, son attitude n’avait rien de belliqueux. Il se tenait tout simplement là, face à elle, les bras ballants, le visage ravagé par la détresse et la crasse, le dos courbé et sa tenue militaire usée jusqu’à la corde. Une maigreur livide insoutenable.

Ajda réprima le cri qu’elle sentait monter du fond de sa gorge et le cadavre qui se tenait devant à elle rompit le premier le silence.

- Je m’appelle Loïc. Je suis français.

Sa voix avait encore la tonalité de l’enfance mêlée à celle du désespoir. Passé l’instant de stupeur et d’effroi, Ajda reconnut le charme de cette langue qu’elle avait apprise à l’université, le français, et inconsciemment cela la rassura. Pas assez cependant pour répondre à cette voix irréelle, comme sortie de nulle part. C’est Loïc qui enchaîna.

- J’ai rejoint les troupes de daesh. Huit mois de combat à leur côté pour constater l’imposture. L’imposture et la soif de pouvoir et de domination. Le même égoïsme que je fuyais dans mon pays d’origine. J’ai vu le sang innocent versé. L’injustice incarnée. Puis mon esprit s’est éclairé. J’ai vu la lumière et j’ai décidé de vous rejoindre, déclara-t-il tout simplement.

Ajda le toisa encore durant de longues secondes puis lui tendit la main.

- Sois le bienvenu parmi nous.

De soulagement ou d’épuisement, le frêle soldat s’effondra sous les yeux d’Ajda qui se précipita vers lui sans hésiter. Elle retira sa veste élimée pour lui caler sous la nuque et humidifia une serviette qu’elle lui appliqua délicatement sur le visage. Il ne devait pas avoir plus de seize ou dix-sept ans. Qu’était-il donc venu faire dans cette tourbière ? Quel désespoir avait bien pu le pousser à rejoindre de tels assassins ? En même temps,  elle sentit que son âme n’était pas impure, c’est pourquoi elle lui avait accordé son pardon.

Alors qu’elle continuait à tamponner doucement ses tempes, Loïc rouvrit les yeux. La même lueur candide éclaira son regard une nouvelle fois. Il portait en lui une telle lumière qu’elle n’était sans doute pas due au hasard et cette perspective redonna du courage à Ajda. Elle lui prépara une tasse de thé et lui proposa un morceau de nanê, pain qu’elle avait elle-même cuit et qu’il dévora d’une seule bouchée, reconnaissant. Quand il eut repris des forces, il relata son périple, ses désillusions dans son pays dévasté par le consumérisme, son espoir en une religion islamiste en laquelle il avait cru reconnaître les valeurs qu’il recherchait, son voyage jusqu’en Turquie tout d’abord puis en Syrie, ses désillusions lorsqu’il avait compris que le combat de daesh n’était qu’une couverture pour masquer leur prétention hégémonique et mercantile. Il interrogea à son tour Ajda sur sa vie à Kobané, sa famille, ses conditions de survie puis leur conversation glissa sur leurs lectures, la philosophie, la politique. Cela faisait bien longtemps qu’Ajda n’avait pas échangé sur autre chose que la guerre et les assauts quotidiens et cette conversation la revigora et lui donna l’énergie qui lui manquait. Ils discutèrent ainsi des heures durant lesquelles le temps était comme suspendu, jusqu’à ce qu’un bruit assourdissant les tire de leur discussion passionnée. L’assaut avait certainement commencé. Ils rejoignirent les autres résistants à deux encablures de là et ces derniers ne s’étonnèrent même pas de voir Ajda au côté de ce jeune soldat. La guerre avait gommé toute bizarrerie et puis un bras de plus ferait bien leur affaire…

Les combats durèrent toute la nuit durant laquelle les Kurdes avançaient dans la ville, à la reconquête des dernières ruelles encore occupées, esquivant les tirs nourris des djihadistes embusqués, appuyés dans leur avancée par les raids de la coalition internationale. Loïc restait près d’Ajda et tel un ange gardien la couvrait de tous les tirs ennemis. Plusieurs résistants kurdes tombèrent au fur et à mesure que le groupe avançait dans la ville et la présence de Loïc rassérénait Ajda qui loin de baisser les bras voyait ses forces et son courage décupler. Soudain, un bruit sourd secoua la ville entière, suivi d’un long silence. Les résistants se figèrent puis continuèrent leur avancée. Plus rien ne bougeait dans le quartier qui baignait désormais dans une étrange quiétude. Après plusieurs dizaines de minutes de ce calme absolu, ils se rendirent à l’évidence. Tout était enfin fini.

Les djihadistes étaient maîtrisés et leur ville libérée de la terreur.

Ajda se retourna alors vers Loïc qui se tenait près d’elle. Ils se sourirent tout simplement avec au fond d’eux la conviction d’avoir encore de grands combats à mener.

 

Nouvelle rédigée en décembre 2014 et inspirée de l’actualité qui secouait la ville syrienne Kobané.

Pour en découvrir davantage sur le combat des femmes kurdes face à daesh.

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